Sylvie Malsan

Sylvie Malsan

  

 — Tu sais, non ?

Cette question, prononcée juste avec les yeux, et avec cette délicieuse fin de phrase qui vient comme un hispanisme : ¿ Sabes, no ? Raquel vient de poser sa main douce, chaude et singulièrement légère sur la mienne. Son sourire gracieux m’invite à l’aimer, cette dame qui donne son amitié par pure générosité. Ce sourire-là est confiant, ou chaleureux. La source de chaleur, c’est la sienne. Pourtant, elle interroge. Toute son âme est inquiète. Et rassurée, malgré tout, dans la personne humaine que je suis. C’est cela : elle interroge ce qu’il peut y avoir d’humain en vous.

— Tu vois ce que je veux dire ? Raquel cherche à établir une complicité.

— Non, je ne sais pas, manifesté-je maladroitement.

C’est du moins le souvenir que j’en ai gardé. Je ne savais pas répondre à cette incroyable foi. À ces yeux charbonnés de khôl qui vous regardaient d’une manière tendre et enfantine aussi. Et qui avaient l’air de croire en vous. En votre capacité à vous engager avec elle dans une nouvelle aventure de la vie.

Il y a plus de vingt ans, nous avons créé ensemble – Raquel et moi, mais aussi les autres amis d’alors – les statuts qui allaient donner naissance à Notes, cette revue utopique, comme le sont de nombreuses revues artistiques, qui voulait faire le pont entre l’art et la science, entre tous les questionneurs, en quelque sorte… Je me suis un peu essoufflée dans ce projet. Mais Notes a vraiment vécu sa vie. Comme une partie de l’œuvre textuelle de Raquel, outre l’œuvre peint…

Presque plus léger que son sourire, reste dans ma mémoire son rire éclatant en une multitude de petits sons aigus de cristal qui s’abîmaient presque aussitôt dans un murmure, un chuintement. Un rire communicatif, complice. Impossible de ne pas la rejoindre dans la réjouissance des gorges secouées par la chose incongrue, le bon mot, le plaisir d’être ensemble, tout bonnement.

« La couleur de l’amitié. » C’est ainsi qu’elle dédicaça pour moi les quelques poésies d’Edmond Jabès qu’elle avait illustrées en vert. Un camaïeu de verts. Verts foncés, verts transparents, verts translucides – la translucidité de l’artiste ! –, verts mêlés en lignes, en couches, en taches brunies à force de pigment ; ou lavées, aquarellées, redorées.

Paris, 3 novembre 2014 — 1er février 2016. Extrait de Sylvie Malsan, En un seul exemplaire, dédié à Emmanuel Hocquard, inédit.